Qu'est-ce que c'est, psychologue clinicienne?

Il y a trois semaines, ma mère a presque fait le forcing pour obtenir une de mes cartes de visite professionnelles. Et même si la question de ce qu'elle allait en faire ne se posait pas, je le lui ai quand-même demandé. C'est pour la montrer à des éventuelles personnes intéressées, m'a-t-elle répondu sur un ton mystérieux. Je ne suis pas dupe: qui de ses connaissances aurait l'intention de consulter la fille de quelqu'un qu'elle ne connaît que trop bien? Non, pour ma mère, la question ne se posait pas en ces termes. Il s'agissait pour elle d'une part, de s'approprier une part de quelqu'un en général et de moi en particulier et, d'autre part, de posséder quelque chose que d'autres sont susceptibles de détenir faute de quoi ce serait la porte ouverte à toutes ses névroses.

Trois semaines, c'est le temps qu'il aura fallu à mon père pour s'interroger sur ce que c'est qu'une psychologue clinicienne. C'est vrai que cela ne fait jamais que 15 ans que sa fille l'est. Mais là encore, je ne me méprends pas sur ses raisons: mon père a toujours été fasciné par les mots qu'il ne connaissait pas. Il met alors un point d'honneur à en découvrir la signification pour, par la suite, pouvoir le recaser au milieu d'une conversation à bâtons rompus. Simple curiosité que sa question, rien de personnel, d'ailleurs la manière dont je lui ai répondu, technique, sémantique, l'a entièrement satisfait.

Où était-il quand j'ai fait le choix de cette orientation il y a plus de quinze ans? S'est-il assez intéressé à mes études pour s'enquérir à l'époque des possibilités qui s'offraient à moi? S'est-il seulement demandé comment je construisais mon avenir à l'époque, quelle direction je comptais prendre, vers où j'allais? Et lorsque j'ai eu mon diplôme quelques années après, où était-il? L'a-t-il seulement regardé? A-t-il lu la liste des cours suivis et des réussites décrochées? S'est-il posé la question à ce moment-là de savoir comment je ressentais ce moment de la fin d'études couronnées de succès, mes espoirs et déceptions, mes envies et mes rêves, mes doutes et mes peurs?

Où était-il? Où étaient mes parents à cette époque? Où ont-ils été durant les 15 années qui ont suivi? Et où sont-ils maintenant?

Ils sont là, proches et si lointains, 15 km nous séparent et un océan de rancune, de déceptions, d'incompréhension. Je n'ai jamais pu être celle qu'ils auraient aimé que je sois, malgré tous mes efforts à l'époque. Ils n'ont jamais pu aimer celle que je suis devenue sans eux, presque malgré eux. Je ne sais pas à quel âge j'ai cessé de quémander leur amour, longtemps après avoir compris que je ne l'aurais jamais. Je ne sais pas depuis combien d'années je ne leur livre plus grand chose de personnel, terrorisée par le besoin de mon père de détruire tout ce que je laisse à sa portée, et la maladie de ma mère qui cherche à tout s'approprier pour mieux dénigrer, rivaliser, transformer et propager à sa manière. J'ai coupé les ponts affectifs, je me tais et ne leur donne plus rien en pâture si ce n'est une fausse apparence, l'illusion que tout va bien et que je n'ai pas besoin d'eux pour aller bien (ou l'inverse, selon ce qu'ils en font à ce moment-là: sans eux je ne peux pas aller bien). Je ne leur donne rien de moi, je sais que mes instants de bonheur leur déplaisent, je sais que mes spleen les feraient plonger. Je ne leur donne rien, et au fil de toutes ces années, il apparaît clairement qu'après avoir refusé de me reconnaître telle que j'étais, ils ne me connaissent plus.

Mes parents ne me connaissent plus...

Comments

[la môme poison]

mon père se gargarisait en public de cette association : "ma fille/hypokhâgne"...il n'a jamais mis de point d'honneur à en comprendre la signification... ça ne me touche plus... enfin, je crois !

[Brigitte]

Ton histoire me touche beaucoup, la mienne n'est pas si éloignée. Quoique, 25km au lieu de 15... :-) Sérieusement, qu'est-ce que c'est douloureux ! et quelle force il faut pour se construire en dehors d'eux ! Je n'y suis pas encore vraiment parvenue, mais je chemine dans la bonne direction.

Meilleures pensées, et puis j'en profite pour te souhaiter déjà beaucoup de bonheur pour 2008 (et après !).