Pause café
Il passe, s'arrête, je lui propose un café. Il hésite puis capitule. S'assied à table et se met à l'aise tandis que je prépare les tasses. Il parle, raconte, parle encore. Je m'assied en face de lui, et mes mains entourant la tasse brûlante, je l'écoute. Il enchaîne les mots, plaisante, sourit, confie. Et tandis que je lui prête l'oreille me vient une réflexion: nous n'avons décidément pas le même temps. Chez moi les mots mettent longtemps pour mûrir et affleurer, le temps que je me sente bien, le temps que je m'installe. Lui, toujours sur le point d'être en retard, toujours en train de partir, il n'a pas le temps. Il parle, j'ai tant de choses à lui dire que je ne sais par où commencer, je le sais le compte à rebours est engagé, vite il faut que je dise, je me tais, le temps n'est pas encore venu.
Je ne lui parlerai pas de moi. Je ne confierai pas les décisions difficiles que je m'apprête à prendre. Je ne lui raconterai pas ces derniers mois, les dernières nouvelles. Je ne m'attristerai pas avec lui de cette certitude qui me vient que je suis en train de tourner la page, à regrets. Je sais que la situation est sans issue, le retour en arrière impossible, je sais que ce qui a été ne sera plus, plus jamais. Je sais que je suis en train de prendre mes distances, celles qu'il a déjà prises il y a des mois et des mois. Et désormais je comprends que lui parler sera toujours impossible, il ne peut pas donner le temps qu'il me faut. Je resterai avec mes questions, mes déceptions et mes espoirs, mes confidences amicales bloquées tout au fond de moi.
Je l'écouterai sans que cela n'apaise jamais mon désir de partager avec lui. Je l'écouterai tout en m'éloignant. D'ailleurs je le laisse là, à table, devant sa tasse de café qu'il se dépêche de vider. Il est midi, la pause a duré moins de 15 minutes, il est en retard, il se hâte vers la porte. Je regarde ma tasse, j'y ai à peine touché, je n'ai pas eu le temps.
Aujourd'hui je ne lui ai pas parlé.
Je crois bien que je ne lui parlerai plus.