Cette année-là

Cette année-là commence le 1er septembre, le jour habituellement consacré à la rentrée scolaire et à la reprise du travail. Mon 1er septembre de cette année-là a été celui de la liberté, des chaînes qui se rompent, des engagements qui prennent fin... mais aussi celui de la peur de l'inconnu. Le dernier lien qui me retenait à 18 mois de harcèlement moral au travail a été coupé, j'ai sauvé ma peau. Sauvé ma peau...


J'étais à la recherche d'un nouvel emploi tout en essayant de me faire à mon rôle de mère au foyer lorsqu'a eu lieu ce fameux souper de retrouvailles avec mes anciens compagnons de classe. Ce repas où chacun a essayé de se mettre en valeur en soulignant sa réussite professionnelle et sociale, familiale parfois. Cette soirée "moi-je", et tandis que tous faisaient de l'esbrouffe, je me sentais en décalage complet, à la recherche éperdue d'autre chose, quelque chose qui aurait à voir avec l'authenticité, avec des rapports sains et solides entre les gens, avec l'humilité.


Cette année-là j'ai été enceinte, un peu malgré moi. La nature s'est chargée de réparer son erreur quatre mois après en me conduisant à la fausse-couche, en m'infligeant au passage, outre un goût d'amertume, une nuit horrible à la maison à me vider de mon sang jusqu'à épuisement total. C'est en zombie que je suis arrivée à l'hosto au petit matin, incapable de tenir ne serait-ce qu'assise, mais fermement soutenue par Tournesol qui a vécu cette nuit à mes côtés, cette horrible nuit de février.


En mai je suis partie à Paris et ensuite à Tours pour rencontrer des amies d'internet. Je me souviens avec délices de ces deux magnifiques journées placées sous le signe des rencontres improbables mais tellement pittoresques. Je me souviens aussi que pendant le trajet, j'échangeais des sms avec l'Ours, une des premières fois où il apparaissait que le lien entre nous nous mettait en joie.


Un mois plus tard, c'est vers le Québec que je m'envolais, accompagnée de Numéro2. Là encore il était question d'une rencontre virtuelle avec une amie du net. Rencontre exceptionnelle, par sa qualité mais aussi par les 10 jours de rêve vécus à l'autre bout du monde.


Je ne garde pas de souvenirs précis des mois d'été qui ont suivi, mais peu importe: ma mutation avait déjà commencé. Par la suite, je me suis coulée dans mon rôle de maman au point de mettre entre parenthèses ma carrière professionnelle. J'ai perdu 30 kilos, coupé mes cheveux, remplacé mes lunettes par des lentilles. J'ai changé ma façon de m'habiller, pris de l'assurance et assumé beaucoup mieux mes "petites bizarreries" vis à vis des autres. Je me suis rapprochée encore plus de l'Ours, avant de m'en éloigner par la force des choses et dans la douleur. J'ai revu plusieurs fois certaines de mes copines du net à Paris, et tout dernièrement j'ai passé la journée avec ma copine québecoise venue faire ce qui sera sans doute son dernier voyage en Europe.

De cette année subsiste encore cette lâcheté, cette peur d'entreprendre, cette incapacité à prendre des risques pour aller de l'avant. J'y travaille toujours...