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Petits riens
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19 mars 2007

L'oeil ouvert

100_3399

Cela faisait plusieurs jours qu'elle sentait que quelque chose ne tournait pas rond. Des petits détails avaient éveillé son attention. Des petites choses, insignifiantes en apparence, mais qui, mises bout à bout, ne pouvaient que signifier quelque chose. Mais quoi... Et elle se torturait le cerveau pour essayer de comprendre.

C'est qu'elle le connaît bien son homme: 20 ans de mariage, ce n'est pas rien. Une affection solide et véritable, une complicité à toute épreuve, un couple soudé encore renforcé par l'arrivée de trois enfants au cours des années. Elle le connaît son homme, ça oui. Et elle le devine mieux que lui-même encore. Et là, il a beau avoir l'air étonné, hausser les épaules ou rire franchement de tous les détails qu'elle relève et de la cohorte de questions qui les accompagne, elle sait qu'il y a quelque chose. Elle ne comprend pas, mais elle sait.

Après des vacances familiales exécrables où elle a gardé l'oeil ouvert et emmagasiné tous les petits détails afin d'en extraire le sens, après des jours et des jours de questions, de recoupements, d'échaffaudages sans cesse recommencés, elle a pris le taureau par les cornes et a cherché l'information là où elle avait acquis la certitude qu'elle se trouvait. Et alors, elle a su. Et c'est comme si le ciel lui était tombé sur la tête.

Assommée. Sonnée. Terrassée. La nouvelle l'a laissée sur le carreau. Car maintenant tout prenait sens, malgré les dénégations de son homme. Les petits détails cachaient bel et bien des petits mensonges, petits mensonges qui, mis bout à bout, ont commencé à révéler ce que toute femme mariée depuis 20 ans ne peut que redouter: il s'est laissé tenter à aller respirer l'air ailleurs, pas loin, pas beaucoup, juste un peu d'air frais, à peine. Et il le regrette déjà.

Alors elle a senti monter en elle une terrible colère, une colère énorme, d'une violence que je ne lui connaissais pas. Une colère dévastatrice qui l'a aussitôt envoyée sur les sentiers de la guerre. Parce que la guerre, elle allait la mener séance tenante, au moins ça évite de réfléchir. La douleur qu'elle pressentait enfouie sous la colère, elle allait la museler, au moins le temps de mener le combat à son terme. Elle l'a secoué, lui a remis les réalités en face, lui a fait comprendre ce qu'il n'avait pas eu l'air de réaliser jusque là: il risquait de la perdre. De perdre sa femme, qui l'a écouté toutes ces années, réconforté quand il n'allait pas bien, encouragé quand il en avait besoin, rassuré, admiré, chéri et dorloté. De perdre la mère de ses enfants, qui les a fait grandir malgré leurs difficultés, qui a été attentive au bien-être de chacun, qui les a stimulés, enrichis, choyés. De perdre sa complice avec laquelle il aime rire et danser, faire du sport et aller au spectacle, se promener main dans la main dans les petits chemins du village et regarder la télévision elle blottie contre lui. Voilà ce qu'il risquait à faire le mauvais choix. Parce que le choix était inévitable, inéluctable, elle le lui a signifié tout en même temps.

Le choix? Il ne s'était à vrai dire jamais posé la question. Et à tout bien réfléchir, il se se souvenait même plus comment il en était arrivé là. Un jour une gamine lui sourit à une fête, et il bombe le torse, flatté d'être l'objet de l'attention d'une jeune fille avec une... une... bon sang, quelle poitrine! Une gamine... pas très jolie en fait, bien moins que sa femme. Pas très fine non plus, bien moins que sa femme. Pas très fûtée, mais quelle paire de seins ! Et puis, l'année suivante, la jeune fille le regarde avec de plus en plus d'insistance, se rapproche, lui propose de boire un verre avec elle un jour - juste comme ça. Les téléphones sont échangés, après tout ça n'engage à rien. D'ailleurs cela ne prend même pas de sens dans la réalité si sa femme n'est pas au courant. Après tout, la réalité c'est elle, le reste n'est qu'illusion, que fantasmes.

Mais voilà que l'illusion appelle, laisse des messages, relance l'invitation. Après tout, pourquoi pas? Et le voilà qui cède. Boire un verre, en tout bien tout honneur, sentir son regard de jeune adulte posé sur lui, et pouvoir lorgner à loisir sa poitrine tout en tendant une oreille distraite à ce qu'elle raconte. Lui a-t-elle parlé de ses soucis avec son ex? De ses disputes avec ses parents? De la galère de l'école où elle apprend son futur métier? Qu'a-t-elle bien pu dire pour qu'il se sente soudain indispensable pour elle, pour qu'il ait envie de la protéger, de voler à son secours? Est-ce elle qui a fait de lui soudain un héros, ou se l'est-il imaginé tout seul parce que c'est précisément de cela dont il avait besoin à ce moment-là? L'illusion est belle, pas la fille, non, mais l'image qu'elle renvoie de lui, ou celle qu'il se fait malgré elle. L'illusion le porte, le bouleverse, le propulse ailleurs. Et pendant ce temps, une voix cogne à la porte de ses rêves, la voix de son épouse qui relève des petits détails qu'elle ne comprend pas. Des détails de la réalité... que lui répondre à cela, il n'est plus dans la réalité, l'illusion en a brouillé les contours. Et toujours des messages pour le relancer quand il commence à ressentir le besoin de prendre un peu de distance, les messages encore même s'il en vient à se demander si les choses ne l'entraînent pas trop loin, des messages suppliants d'abord, agressifs ensuite, menaçants peut-être? ou tout à la fois. Comment se dépêtrer de ça...

Mais le réveil est brutal. Car maintenant l'épouse sait. Et elle lui demande de choisir. Choisir. Comment choisir entre quelque chose qui n'existe que dans le rêve et qui est de moins en moins idéalisable, et quelque chose de tangible qui commence à se dégrader à très grande vitesse? Comment poser un choix au milieu de tout ça, comment décider de s'engager dans ces circonstances? S'engager, alors qu'on n'a envie que d'une chose, c'est d'être dégagé?

Alors le choix, c'est elle qui le fait. Elle éjecte la gamine des environs immédiats, pose ses conditions. Elle fixe les règles, attention à ne pas approcher de la ligne rouge, il est en liberté surveillée. Et elle réapprend à lui faire confiance, du bout des doigts de pied, du bout des cheveux, prudemment. Tout en s'efforçant de trouver des réponses à toutes les questions en suspens.

Six mois plus tard, la gamine a disparu totalement du circuit. La crise est passée, le bateau a repris la mer, les avanies ont été colmatées, et tout le monde a écopé y compris les enfants. La mer est redevenue calme, même si quelques questions demeurent sans réponse. Alors elles remontent parfois à la faveur d'une baisse de moral, d'un petit coup de cafard, et elles viennent ébranler l'embarcation à la manière d'une vague brutale que l'on n'attendait pas. Le capitaine fait mine d'être surpris, encore des questions, mais pourtant la page est tournée et il n'y a plus rien à en dire. Affaire classée, point. L'épisode a trouvé son épilogue et il n'a pas l'intention de revenir sur cette histoire dont il ressent encore l'humiliation qu'elle a suscitée tout au fond de lui. Et puis, a-t-il seulement été capable de mentaliser ce qui se passait au moment même? Mentalise-ton des fantasmes, non, bien sûr que non. Alors 6 mois après, c'est sûr, des réponses il n'y en a plus, d'ailleurs y en a-t-il jamais eu? Et tandis qu'il ferme ainsi la porte à des discussions de détails, elle, bien loin de pouvoir se laisser bercer en fermant les yeux, écarquille et force son regard, pourquoi ne vois-tu pas, je ne peux plus être pareille à celle que j'étais pour toi il y a un an, avant que tout commence. Il y a tous ces détails que tu ne veux pas voir, je les vois, pas très distinctement mais je veux les grossir à la loupe, les disséquer, les examiner un à un, je veux aller au bout des choses, viens avec moi, aide-moi à comprendre. Sans ça ne je trouverai pas le repos.

Et tandis qu'il essaie de la rassurer comme il le peut, qu'il s'efforce de voir les détails qu'elle lui indique et d'y apporter un sens - celui qui l'apaiserait, celui qu'elle veut entendre mais attention aux faux-pas, tandis qu'il fait taire son sentiment de culpabilité et qu'il essaie de ne pas tout envoyer balader, elle se met à saigner des yeux, une infection a dit l'ophtalmo. Difficile de se laisser aller suffisamment à accepter le brouillard autour de ces événements du passé, mais cela serait sans nul doute beaucoup plus supportable.

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Commentaires
R
S'il ne s'agit pas à proprement parler de mon histoire, je pense qu'il s'agit pourtant de quelque chose d'assez universel, que les épisodes de notre vie nous mènent à peu près tous à comprendre, à reconnaître comme proche.<br /> Marie: tu as perçu bien évidemment que la souffrance est un peu partout dans cette histoire et qu'il n'y a pas qu'une seule victime. Il y a le destin qui joue des tours et chacun qui en fait ce qu'il peut, comme il peut, seul ou avec la personne qui partage sa vie.<br /> <br /> Merci à tous d'avoir déposé vos mots ici.
M
quel sujet ... forcemment très interpellant pour les "vieux" couples dont je fais partie ...<br /> mais surtout quelle magnifique écriture !<br /> bravo !
A
J'ai été la première à vouloir te laisser un commentaire mais ça ne l'a pas pris en compte, et heureusement, finalement. Ce genre de drame est difficile à appréhender : surtout ne pas s'imaginer que la victime est forcément discernable au premier coup d'oeil, car la douleur est diffuse, tant pour l'écorneur de contrat, que pour la personne "trompée".
L
J'ai vécu la même chose que cette femme.<br /> <br /> Il y avait cette voix qui me parlait, comme une vibration, une alarme qui sonnait pour mieux me réveiller.<br /> L'intuition, je crois ?<br /> => "Elle te trompe, il y a quelqu'un d'autre etc."<br /> Nos ébats étaient différents, la façon de se toucher, de s'embrasser. Mais aussi son attitude etc.<br /> <br /> Je le savais et j'ai laissé faire un temps car je l'aimais (ou plutot, parce je ne m'aimais pas ou plus). Je me cachais dans ma prison de souffrances dans l'espoir de jours meilleurs comme si cela pouvait s'arranger ...<br /> Dans mon cas, cela n'était pas possible mais dans d'autres, je n'en sais rien !<br /> => il me fallait aller jusqu'au bout, jusqu'au fil electrique pour enfin me détacher. Vivre cette humiliation, ma honte, cette esclavage des sens & des sentiments pour lacher prise et vivre à nouveau<br /> --> mourir pour mieux renaitre d'une certaine façon !<br /> <br /> Cette tromperie était notre salut, au moins le mien, pour enfin me libérer de démons, de schémas familiaux, de rêves enfermants et surtout de mon/mes mensonge(s). Je l'avais aimée mais notre relation n'aurait jamais dû durer 11 ans. Ma lacheté avait pris les commandes de ma vie et je m'étais dissout en "Donneur d'Amour" sans limites, faute de pouvoir me regarder en face et m'offrir le bonheur par ma liberté d'être.<br /> <br /> Je me souviens de la douleur de cette trahison, une sorte de "viol" je le reconnais, de savoir qu'elle puisse se donner à un autre que moi. Elle me mentait délibérément et je ne disais rien : est ce cela Aimer ?<br /> Elle avait fini par ne plus me voir ou plus exactement "comme le gentil garçon qui donne, donne et ne sait pas dire non". J'étais devenu un pere, une mere, un frere, un confident et le mari, surtout l'homme, s'était évanoui dans sa bonté trop généreuse. <br /> <br /> Je ne regrette rien, j'ai bcp souffert, bcp pleuré enfin (j'attendais ce moment depuis si longtemps) et cette souffrance a libéré l'homme qui ne demandait qu'à naitre. En posant le "non", le "stop", j'ai pu me regarder en face et être digne, fier de moi. Je croyais connaître le sens du mot "Aimer". Je m'étais trompé et j'apprends encore aujourd'hui à le définir pour mieux en jouir et lever la tête pour suivre mon propre chemin.<br /> <br /> L'Amour et la vie ont désormais un autre goût dans ma bouche ...<br /> <br /> @Tony
O
Je pensais que c'était ton histoire, ton vécu.<br /> <br /> Cela ne change rien.<br /> je peux comprendre ce désir de savoir les pourquois, les comments, les détails, les petites choses qui ont entrainé tout cela, les petits riens qui ont transformé des imprévus en organisation.<br /> <br /> Museler sa peine, sa douleur et sa rage sur le moment épurer la situation.<br /> Mais six mois plus tard, une foisle deuil fait, on a besoin de savoir.<br /> Pas pour remuer la peine, pas pour rouvrir la plaie mais pour comprendre.<br /> Pour peut être aussi comprendre et faire comprendre que rien ne peut être comme avant, que la confiance ca se perd, que l'on peut aimer mais plus se laisser aller.<br /> Et tout ces petits riens sont les grains de sables qui sapent les bases et ils faut les voir les identifier clairement.<br /> <br /> Je pensais que c'était ta peine, tes larmes.<br /> Mais de toute façon effectivement ca ne change rien.
Petits riens
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