Les biscuits secs et sans saveur
Une anecdote hier avec Numéro3 et me voilà projetée dans mon passé de petite fille. Je me remémore des souvenirs pas très agréables de cour de récréation et surtout, le moment des goûters.
Ma gourmandise me poussait à demander à mes copines de partager leurs collations avec moi. Mais je n'avais rien à proposer à l'échange, mes biscuits étaient dédaignés voire raillés: "des biscuits pour bébé". C'est vrai, je faisais les frais des préoccupations diététiques de ma mère qui estimait que les bonbons, le chocolat et tout ce qui, en général, avait un aspect attirant pour les enfants étaient nocifs pour l'organisme. La seule chose qu'elle acceptait, c'était ces biscuits sans-graisse-sans-sucre, tellement sans-sans qu'ils faisaient partie de l'alimentation autorisée pour les bébés. Du coup, privée de monnaie d'échange, il fallait que j'agisse sur d'autres tableaux, ceux de l'influence. Je me suis ainsi laissée aller au chantage affectif, au chantage tout court, aux promesses que je savais ne pas être en mesure de tenir, aux pressions parfois. Je me suis humiliée, entre autres auprès de camarades pour qui je n'avais aucune affinité, uniquement du désir pour leur goûter. Je me suis exposée aux refus, aux rejets, aux moqueries aussi, et même à l'exclusion. Il s'en est d'ailleurs fallu de peu que je devienne la gosse à éviter en récré.
En mon for intérieur, j'enviais terriblement ces enfants pour lesquels on cuisinait des pâtisseries à emporter fièrement à l'école. J'enviais ces enfants à qui on cédait lorsqu'ils demandaient telle ou telle friandise dont les couleurs avaient capté leur regard. J'enviais ces enfants dont les parents savaient comment leur faire plaisir, comment d'une petite attention on peut les rendre tout simplement heureux d'être des gosses.
Moi j'étais la petite fille aux biscuits secs et sans saveur, celle qui avait des parents incapables de penser à son propre plaisir. Mais étaient-ils capables de penser au leur, d'ailleurs? J'étais celle dont les désirs étaient ignorés, déniés, balayés du revers de grands principes: trop cher, inutile, pas sain, pas intelligent de vouloir ressembler aux autres, etc... J'étais une petite fille qui devait marchander pour avoir accès au monde des enfants, et dont tous les efforts, loin de masquer le décalage entre elle et les autres, l'accentuaient davantage.
Et en repensant à tout cela, outre la honte que j'éprouve à avoir été cette petite fille capable de s'humilier à ce point pour assouvir sa gourmandise, je ne peux m'empêcher d'éprouver de la tristesse d'avoir été mise dans cette situation par l'incapacité de parents à saisir ce qui est important pour un enfant.