Le revendicateur Number One

Numéro1 est un grand revendicateur. De naissance, et particulièrement bien entraîné. Hier, par exemple, il venait réclamer... de l'attention! En réalité c'est simple, il supporte difficilement que je m'isole pour avoir du calme ou tout simplement pour me livrer à des activités autres que parentales, comme lire, surfer sur le net, écrire ou quoi que ce soit qui demande un minimum de concentration et d'égoïsme.


Hier, il est venu revendiquer... que je pense à lui!


Que je pense à lui. J'avoue que j'ai eu besoin de quelques secondes pour encaisser sa dernière trouvaille. J'ai baissé mon livre, l'ai regardé dans les yeux, mais oui, il était sérieux. Mon fils veut que je pense à lui. Un petit peu, ou plus souvent ou...


Alors dans la demi-heure qui a suivi, j'ai entrepris de lui expliquer ce qui manifestement lui échappait. Que je pensais à lui et à chacun de mes enfants constamment. Comme un fil rouge tissé au coeur de mes pensées, de mes réflexions. Que je pensais à lui non seulement dans l'instant, mais à lui demain, lorsqu'il faudra se débrouiller pour le conduire chez l'ORL. A lui la semaine prochaine, et à la nouvelle semaine d'école qu'il va entamer. A lui le mois prochain, lorsqu'il sera en classe de neige avec ses copains. A lui à la prochaine rentrée, puisqu'il faut préparer son changement d'école. A lui ado, futur gymnaste, fera-t-il de la compétition, ou retournera-t-il vers la guitare? A lui et ses spectacles de hip-hop, sa nouvelle passion. A lui après ses études, en mettant systématiquement de l'argent de côté sur son livret pour qu'il ait de quoi vivre ses premières envies de jeune adulte. Sans oublier que, dans le même temps, je pense à lui bébé, si fragile, enfant si calin, petit garçon si clairvoyant et lucide, émouvant.


Comment lui expliquer que, non seulement je pense au "lui" de maintenant, mais à tous les "lui" qu'il a été ou qu'il sera peut-être. Qu'à chacune de mes réflexions je passe d'un niveau à l'autre, le mettant en perspective, envisageant son avenir en même temps que je me remémore son passé. Comment lui expliquer que mes pensées traversent le temps et l'espace, passent du réel à l'imaginaire, plongent dans l'émotion et toujours reviennent à lui?


J'ai essayé de lui expliquer, mais cela semble trop abstrait encore pour lui. Il cale sur la notion de démultiplication, faire exister simultanément des réalités différentes. Il cale aussi sur sa difficulté à appréhender le temps, d'autant plus les temps multiples. Et puis il veut pas tant de blabla, ce qu'il veut c'est que je l'écoute, plus exactement que je l'écoute revendiquer. Il ne veut pas grand chose d'autre en ce moment, que d'exister par la revendication.


Et surtout, que j'arrête de lire.